Lettre des 126 intellectuels musulmans dénonçant l'EI: ce sur quoi je ne suis pas d'accord
Lettre des 126 intellectuels musulmans dénonçant l'EI: ce sur quoi je ne suis pas d'accord
En guise de propos introductifs de mon billet, je souhaite d'emblée évacuer certaines polémiques qui pourraient se soulever suite à la lecture de celui-ci. En critiquant les intellectuels musulmans qui se sont soulevés contre l'EI (le soi-disant Etat prétendument islamique), je ne critique pas la forme, c'est-à-dire l'acte de condamnation en lui-même. En revanche, sur certaines questions de fond, je ne peux pas me résoudre à acquiescer sur ce qui a été écrit.
Par ailleurs, je ne suis pas non plus dans une démarche de division ou de Fitna comme diraient certains. Il s'agit ici du berceau de la faculté critique laissée à toute personne en islam. En effet, le Prophète de l'islam lui-même avait affirmé que la critique fera avancer sa communauté (et, à mon sens, le point n°4 des intellectuels reprend plus ou moins cette assertion). Ces deux points préalables étant mis au clair, nous pouvons désormais nous atteler à ce que ces intellectuels ont soutenu, sur le fond à tout le moins.
Lire aussi:
• Le chef de l'Etat islamique parmi les hommes les plus influents de la planète
• Irak: le conflit intercommunautaire ravivé
• La montée en puissance de l'Etat islamique dans certaines localités du Liban
L'abolition de l'esclavage (point n°12)
Selon les érudits musulmans, "l'esclavage a été aboli dans l'islam depuis l'établissement d'un consensus universel". L'esclavage pourrait être décrit comme un état de servitude dans lequel un homme est donné pour propriété à un autre et auquel il doit une soumission et une obéissance absolue.
Lors de l'avènement de l'islam, il est tout à fait réel que le système de l'esclavage était répandu dans tous les pays du monde et était largement utilisé. Lorsque le fondateur de l'islam, Muhammad, a commencé à propager le message que Dieu lui révélait, plusieurs atténuations ont été apportées. D'abord, il n'était plus question de traiter les esclaves comme des "bêtes", ce qui était pourtant une pratique fréquente chez les arabes préislamiques. D'abord, le Coran a instauré une égalité entre celui qualifié "d'esclave" et celui de "maître". Aussi, les esclaves de l'époque devaient-ils être traités avec bonté et égalité.
Avant même de s'orienter vers un autre commandement coranique, on s'aperçoit que l'esclavage, tel qu'il est défini en introduction de cette partie, ne correspond pas à la vision qu'en dépeint l'islam. On est ainsi plus dans le cas concret d'un esclave ; par ailleurs, le Coran lui-même prévoit que la libération d'un esclave est un "acte d'ascension" spirituelle (Coran, Chap. 90, versets 13 et 14). On voit en conséquence que les intellectuels musulmans ont loupé la réalité concrète de ces chapitres qui sont, pourtant, très simples et compréhensibles.
Si la libération d'un esclave correspond à un acte d'ascension spirituelle et que l'objet même du Coran revêt cette même finalité, affirmer que c'est un consensus universel qui est venu abroger l'esclavage est faux et représente une trahison intellectuelle faite au Coran. L'islam, lui-même, n'a pas attendu que les grands ulémas se réunissent pour abroger une pratique ; le Coran lui-même la condamne. En conséquence, cette phrase des intellectuels contribue à faire passer l'islam pour une religion arriérée ce qu'elle n'est pas. En conséquence, je ne suis pas d'accord avec cette notion de consensus universel.
En réalité, nous voyons que les choses, dans le Livre, sont mises en lumière en deux étapes cruciales pour réformer la société de l'époque. D'abord, une première démarche visait à améliorer la condition des esclaves existant pour ensuite, à terme, les libérer. Le Prophète de l'islam s'est donc bien inscrit comme un libérateur en la matière.
L'interdiction de déclarer une personne non musulmane (point n°9)
Les intellectuels mettent en avant le takfirisme qui, pris dans ce sens, renvoie à la faculté laissée à la communauté des croyants : le droit de déclarer une personne ou un groupe de personne comme étant des non-musulmans. Et les intellectuels de poursuivre, bon nombre de références à l'appui, qu'il n'appartient pas à la communauté des croyants de déclarer untel ou untel comme non-musulman dans la mesure où la pratique du Prophète de l'Islam nous en empêche. Ils poursuivent à très juste titre que le Prophète lui-même, dans sa vie, avait affirmé que "celui prononce la profession de foi (i. e. la Shahada) est un musulman".
Lorsqu'on analyse la source primaire de l'Islam, le Coran, ce dernier plaide également pour une absence de possibilité de déclarer une personne comme étant non-musulmane. Le Coran répute comme musulman toute personne "qui se soumet à Dieu". Reste que cette affirmation venant des intellectuels de différentes écoles de pensées islamiques ne peut pas être prise au pied de la lettre. Elle souffre de trop nombreuses exceptions dont une majeure : la déclaration des ahmadis comme non-musulmans en avril 1974.
Recontextualisons un instant ce qui est dit avec ce qui a été fait. Ce qui est dit est clair : la communauté des croyants n'a pas la faculté de déclarer une communauté non-musulmane. Or, il va de soi, qu'en 1974, l'unanimité des communautés musulmanes réunies lors d'un sommet saoudien de la Ligue islamique mondiale avait estimé que les ahmadis correspondaient à une "branche déviante de l'islam" et une "secte". En conclusion, elle ne pouvait pas être considérée comme étant musulmane.
Les ahmadis, depuis leur fondation, revendiquent et partagent la même profession de foi que tous les musulmans. Ils suivent également les cinq piliers de l'islam et les six piliers de la foi. Nous sommes donc complètement dans l'hypothèse du Coran et de la pratique du Prophète de l'Islam. Toutefois, la réponse apportée par l'ensemble de la communauté des croyants quant à elle ne s'en conforme nullement. Non seulement les membres de la communauté vont empêcher les ahmadis de se revendiquer comme musulmans, mais ils vont également asseoir une persécution sociale et institutionnelle sur cette base là.
Comment peut-on alors décemment penser que cette affirmation, qui a été prise sur un effet d'actualité, peut être analysée en une norme à caractère général et impersonnel ? Par ailleurs, si la communauté des croyants n'a pas de base légale (au sens du Coran) pour déclarer une autre communauté non-musulmane, sur quelle base s'est-elle fondée en 1974 pour déclarer à l'unanimité les ahmadis comme non-musulmans ? Il s'agit-là d'une évacuation bien trop simpliste de la question du takfirisme en islam.
La nécessité de revenir aux vrais enseignements de l'islam
En réalité, les musulmans ne pourront pas sortir des fourches caudines qu'ils ont eux-mêmes dressées devant eux sauf à reconsidérer totalement les ingrédients qu'ils ont mélangés afin d'aboutir à ce résultat détérioré. La spiritualité en islam aujourd'hui n'a plus aucun sens. Les musulmans lisent le Coran de manière totalement linéaire et sans mesurer l'importance des versets ou encore de ce qui y est affirmé.
Les personnes qui fustigent l'islam s'en donnent à cœur joie : la communauté musulmane est totalement déconstruite, les enseignements ne sont pas suivis, les comportements de certains "musulmans" sont détestables et cela ne donne que du crédit aux mauvaises langues qui souhaitent simplement dire que l'islam est une religion violente et qu'elle ne peut pas se déconnecter de son caractère violent. Il faut ici rappeler aux musulmans que c'est le comportement en société qui fait qu'un musulman est respectable.
Je m'en remets à cet échange que j'ai eu avec mon ami Frédéric. Effectivement, si les musulmans sont dans cette situation, c'est d'abord en raison de leur comportement. Mais je dois nécessairement compléter cette discussion que j'ai eue avec Frédéric. Peut-être que les musulmans devraient apprendre à relire le Coran, à réapprendre la spiritualité qui est inhérente à l'islam. Peut-être qu'au lieu de critiquer ouvertement les ahmadis, ils devraient se souvenir qu'à l'époque du Prophète de l'Islam, l'unanimité des mecquois avait décidé de renvoyer le Prophète de l'islam de la Mecque et le considérait comme un magicien. Quelle est donc aujourd'hui la communauté interdite du pèlerinage à la Mecque et fustigée de non-musulmans par l'unanimité de la communauté ?
Nous prions que l'état général des musulmans s'améliore.
Retrouvez les articles du HuffPost sur notre page Facebook.
Pour suivre les dernières actualités en direct, cliquez ici.